L'affaire Galliano...

Ce début d'année ne s'avère pas de tout repos dans le microcosme mode. Après les changements de direction chez Vogue Paris, c'est du côté du géant du luxe LVMH, plus particulièrement au sein de l'illustre maison Christian Dior qu'on constate quelques remous d'envergure relativement importante.

(Galliano au défilé Christian Dior Couture Printemps/Eté 2011).

Le 24 février, John Galliano, directeur artistique de Dior depuis quinze ans, est interpellé pour faits de violences et d'insultes à caractère racial et antisémite, à la suite d'une altercation à la terrasse du café La Perle situé dans le Marais parisien. Des propos intolérables tels que "sale tête de juif, tu devrais être morte" ou encore "putain de bâtard asiatique, je vais te tuer", auraient été tenus par le créateur, excessivement ivre, à l'encontre d'un couple attablé à côté de lui. Bien qu'il ne s'agisse que de rumeurs, Sidney Toledano le président de la griffe préfère suspendre le cinquantenaire ibérique de ses fonctions en attendant les résultats de l'enquête qui doit être menée par la police. Sans doute pour éviter d'entacher encore plus l'image de la marque, partie intégrante du patrimoine de la mode française, mais aussi de LVMH, déjà au centre des polémiques avec l'affaire Jean-Paul Guerlain. Ici, je tiens à faire une petite parenthèse : suite à la mise à pied de Galliano, plusieurs personnes se sont dit outrées du fait que lorsque les juifs sont les sujets d'insultes à caractère racial, l'auteur se voit sanctionné par le groupe, alors que l'héritier du parfumier, dont les paroles étaient dégradantes vis-à-vis des noirs, ne l'a pas été. Rappelons qu'au moment des différents faits, monsieur J-P Guerlain n'avait plus aucune attache, sinon son nom, avec Guerlain, et ce depuis des années. Or, Galliano était toujours en plein exercice de ses fonctions...A ces gens, je demande : que vouliez-vous que LVMH fasse ? Renvoyer quelqu'un qui ne fait pas/plus partie de l'entreprise ? Bref, fin de l'errance revenons à nos moutons.


Deux jours plus tard, une jeune femme dépose plainte au commissariat du 3e arrondissement contre John Galliano, pour des faits similaires qui se seraient passés en octobre 2010. Puis, le quotidien britannique The Sun dévoile une vidéo datant de décembre 2010 sur son site internet où l'on peut voir le styliste à la terrasse du même café, filmé à son insu, visiblement bien éméché clamant son admiration pour Hitler et déclarant à ses voisins de table que ceux-ci devraient être "gazés". C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Ni une ni deux, Dior engage une procédure de licenciement et annonce que la collaboration avec Galliano ne sera plus possible. Au sein de la fashion sphère, les avis sont alors contrastés. Natalie Portman, égérie du parfum Miss Dior Chérie, avoue être "profondément choquée et dégoûtée" et ne souhaiterait plus "être associée à Monsieur Galliano de quelque manière que se soit en tant que juive et fière de l'être". De son côté, le designer italien Giorgio Armani a exprimé sa compassion pour son confrère : "Je suis vraiment désolé pour lui, et surtout qu'on l'ait filmé sans qu'il ne le sache..". Son de cloche presque similaire pour Franca Sozzani, rédactrice en chef du Vogue italien connue pour ne pas avoir sa langue dans sa poche. Dans un billet sur son blog, elle affirme être profondément choquée et condamner les propos racistes ainsi que l'apologie du nazisme de la part du créateur mais a toutefois une légère objection. Elle écrit que la vidéo commence au moment exact où Galliano tient ses paroles insoutenables et donc que personne ne connait vraiment le contexte. De plus, elle émet l'hypothèse que ses interlocuteurs le provoquaient alors qu'il était déjà sous l'emprise de l'alcool. D'après elle, il ne s'agit que d'un scandale dont voulaient se délecter les médias et une preuve pré-fabriquée dans le but de détruire la carrière de l'excentrique styliste. Très souvent, je partage les avis de Senora Sozzani .Ses nombreuses critiques sur l'équipe de Vogue Paris et ses copinages, celles sur les blogueurs en pitoyable quête de popularité, les autres sur ces gens qui font tout pour se faire voir en pleine Fashion Week, à coups de fantaisies vestimentaires de mauvais goût, transformant les sorties de défilés en vulgaires pistes de cirque sont presque pour moi des textes bibliques. Toutefois, je ne peux pas cadrer son raisonnement sur cette affaire. L'alcool ou la pire des provocations n'excusent pas de pareils affirmations. Rien n'excuse le racisme, absolument rien. Sans même prendre en compte ce certain manifeste de la politique nazie.

Paradoxalement, même si je déplore vivement ses propos, je pense nonobstant que Galliano ne doit pas être mis au ban de la société. Je crois énormément à la seconde chance. Oui, il mérite son licenciement. Oui, ceci lui servira de leçon, mais il faut voir plus large. Sans chercher à lui accorder des circonstances atténuantes et en déplaise aux plus virulents, cet homme a besoin d'aide. Rattrapé par son succès et happé par le rythme éreintant du monde de la mode, il s'est laissé aller à divers excès, dont l'alcool mais aussi la drogue. Récemment, j'ai pu lire qu'il est entré en centre de désintox. C'est déjà une bonne chose. Ensuite, peut-être qu'il devrait présenter des excuses aux communautés juive et asiatique, mais aussi à l'opinion publique, déjà pour montrer qu'il regrette ses dires, et qu'il est prêt à changer.

Galliano avait en charge les collections couture, prêt-à-porter, les capsules croisières et pre-fall, les accessoires en plus de ses propres lignes. Il faut quand même l'avouer, présenter plus de 8 collections par an est tout sauf évident. C'est énormément de pression surtout lorsque l'on a en tête les enjeux financiers qui régulent la mode à l'heure actuelle. Nombreux sont les créateurs de mode qui ont connu une descente aux enfers. Yves Saint Laurent, Lagerfeld, Marc Jacobs et Alexander McQueen en sont quelques exemples. D'ailleurs, la perte de ce dernier a été un coup dur pour Galliano qui était son prédécesseur chez Givenchy en plus d'être son ami. Il a également été affaibli par la mort de son bras droit de toujours Steven Robinson en 2007. La solitude. Voilà également un mal qui mine ces créateurs du rêve. Dans cette industrie souvent infernale, il est difficile de faire face à toutes les épreuves quand on est seul. Yves Saint Laurent lui avait son fidèle Pierre Bergé pour le ramener à la raison, pour le soutenir pendant les moments où son côté fragile et autodestructeur prenaient le dessus sur le reste...

(Collection Masai Dior Couture printemps-été 1997 / Collection Dior Couture printemps-été 2006).

D'une part, je tiens néanmoins à distinguer l'homme de l'artiste. Galliano est un génie dans l'âme, un excentrique talentueux, un iconoclaste visionnaire. Son œuvre se grave à jamais dans les annales de la mode. Sa dernière collection Haute Couture, vibrant hommage à Christian Dior himself, à son mythique "New-Look" et à son illustrateur René Gruau le prouve bien. Galliano tout en démontrant toute l'étendue de son don, apportait une nouvelle dimension à l'héritage Dior. Dans la veine du non-politiquement correct, on se rappelle aussi de son défilé "Clochard" en 2000 qui ne manqua pas de choquer. Autant d'opus qui ont définitivement marqué les esprits...D'autre part, il m'est toujours apparu comme un homme ouvert. En effet, ses vestiaires, plus souvent sous son label éponyme, ont exploré différentes cultures à travers le monde. De plus, il a lui même choisi Natalie Portman comme égérie, et il fait partie des stylistes qui engagent le plus de mannequins de couleurs lors des Fashion Weeks. Hypocrisie ? Peut-être. N'empêche qu'une telle attitude de sa part est donc assez surprenante. Pour moi en tout cas.

(Collection "Clochard" Dior Couture Printemps/été 2000).

Par ailleurs, les spéculations se font déjà sur son successeur (Eh oui, la maison Dior continue elle de vivre et de fonctionner). Le nom qui revient le plus souvent pour l'heure est celui d'Hedi Slimane, ex-directeur artistique de Dior Homme. Durant ses années d'exercices, il a carrément révolutionné la mode masculine et est une référence dans le secteur. Ses principaux atouts ? Sa force créative impressionnante et sa connaissance de la maison. Autres pistes plausibles : Alber Elbaz, réputé pour sa sublimation de l'élégance féminine chez Lanvin, Riccardo Tisci, le poète romantico-gothique de Givenchy et le designer français d'adoption Haider Ackermann. Personnellement, Elbaz et Tisci très performants dans leur maison respective, je verrais bien la chance accordée à Haider Ackermann. C'est un surdoué de la coupe et il a l'âme très novatrice et avant-gardiste.


(Collection Dior Couture Printemps/Eté 2011)

Aujourd'hui, je me répète, ses paroles sont intolérables et vraiment regrettables. Regrettables comme le fait que sa carrière soit maintenant hypothéquée, son talent gâché, aussi bien sous sa propre maison qui appartient à 87% à Christian Dior Couture et donc à LVMH...Une fois de plus, cela lui servira de leçon, à lui mais à bien d'autres également...

P.S : en ce qui concerne les imminents défilés lors de l'actuelle semaine de la mode parisienne, celui de Dior est maintenu au 4 mars alors que la présentation John Galliano, prévue le 7 mars semble annulée.

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